La Rhinoplastie

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A Téhéran, on change de nez comme de chemise

Hormis le plâtre qui lui couvre le nez, Goli Abadi a un visage superbe. Comme moult Iraniennes, la jeune femme a succombé à la mode de la chirurgie esthétique. “Je me suis cassé le nez quand j’étais à la maternelle. J’ai pris un coup qui m’a laissé une petite bosse. Sinon, je ne me serais jamais fait opérer”, raconte cette hygiéniste dentaire actuellement au chômage. “Après mon accident, j’avais du mal à respirer. Je ne pouvais pas dormir sur le ventre, il fallait que je me mette sur le dos”, explique quant à elle Laïla, 23 ans, le visage tuméfié et les yeux injectés de sang après une intervention similaire.

Les rues de Téhéran grouillent de jeunes avec le nez dans le plâtre. Mais, si les Iraniens branchés ont manifestement besoin d’afficher leur rhinoplastie – selon les médecins, certains se font même plâtrer le nez sans s’être fait opérer pour étaler leur statut social –, rares sont ceux qui avouent les motifs réels de leur intervention. “Ils racontent tous qu’ils ont eu un accident, des troubles respiratoires ou une déviation de la cloison nasale”, soupire un spécialiste de Téhéran. “C’est un virus”, commente de son côté Goli Abadi. “Presque toutes mes amies se sont fait refaire le nez. Les filles rivalisent entre elles pour être la plus belle. C’est débile, mais ça permet aussi de passer le temps.”

 

La République islamique a le plus fort taux de rhinoplastie au monde, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres précis. Les Iraniens appellent le nez parfait “le nez à 1 million de tomans [885 euros]”. En fait, les interventions atteignent parfois les 3 900 euros.

L’un des grands chirurgiens plasticiens de Téhéran affirme compter parmi ses patients les filles de hauts responsables religieux. C’est l’ayatollah Khomeyni, le père de la révolution islamique, qui a officiellement autorisé la chirurgie esthétique en Iran, après avoir été consulté par une personnalité religieuse dont la fille devait être opérée par Mohammed Abidipour, le premier chirurgien plasticien du pays.

Comment expliquer la popularité de la rhinoplastie ? De nombreuses raisons ont été avancées. La première serait le code vestimentaire musulman. Les femmes devant se couvrir les cheveux et le corps, l’attention se focalise sur le visage. La seconde, c’est que le régime de Téhéran ne favorise pas les activités sociales. Résultat : les jeunes sont désœuvrés. Ils rêvent de ressembler à Jennifer Lopez, Nicole Kidman et Tom Cruise, ces stars de Hollywood qu’ils voient à la télévision par satellite (officiellement interdite).

Le nombre croissant de personnes défigurées par le bistouri de chirurgiens non qualifiés commence à devenir préoccupant. L’Iran ne compte officiellement que 115 chirurgiens plasticiens, mais l’explosion de la demande a incité au moins dix fois plus de praticiens issus d’autres spécialités, les ORL par exemple, à se lancer dans le secteur.

“Il se passe des choses terribles”, confie le Dr Abidipour, qui a dirigé le département de chirurgie plastique de la faculté de médecine de Téhéran. “On m’a envoyé un jour une patiente pour une rhinoplastie correctrice. Elle avait subi vingt opérations du nez, à raison de 120 dollars à chaque fois. Les interventions avaient été faites par le même médecin. Elle avait le nez dans un état épouvantable.”

Le ministère de la Justice a constitué un service spécial pour traiter les ratés de la médecine. Entre 2001 et 2004, il a examiné 2 715 affaires de chirurgie esthétique : 459 médecins ont reçu un blâme écrit et 21 ont été suspendus pour une période allant jusqu’à quatre ans. Pour certains, c’est une maigre consolation. Sina Maadelat, par exemple, 25 ans, chauffeur de taxi à Téhéran, vient de payer 250 euros pour une troisième opération. “La première fois, j’ai beaucoup saigné. Je n’ai pas pu respirer pendant deux semaines, raconte-t-il. Et puis les médecins ont eu du mal à enlever le plâtre et les points de suture. La pointe [de mon nez] est retombée. En fait, je n’avais aucun problème. Mon nez était mieux avant que je passe sur le billard.”

(Source : Courrier International)

 

 


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